Jeanne de Flandreysy | ![]() |
J’en fus touché, ému, charmé. Après quarante ans passés, je revois encore cette scène, où dans le jour grisâtre de ce parloir universitaire qui sentait le bois ciré, je retrouvais la Lumière et le parfum de la Provence en contemplant le visage délicat, les beaux yeux, le cou flexible de cette muse inattendue, en écoutant sa voix musicale parler de tout ce que j’aimais. Mme de Flandreysy avait acquis en 1917 l’hôtel des Baroncelli en Avignon, elle avait entrepris de restaurer cette admirable maison, d’y loger les collections iconographiques et les archives qu’après 15 ans de collaboration avec Jules Charles Roux, qui venait de mourir en 1917, restaient sa propriété, et de leur donner un cadre digne d’elles et d’y recevoir toute l’élite intellectuelle, qui s’intéressait à la Provence, au Félibrige, à Dante, à Pétrarque, aux Papes d’Avignon, à la Gaule romaine, à tout ce qui devait faire du Palais du Roure, (ainsi qu’on appelait couramment l’hôtel des Baroncelli), en 25 ans de travail un foyer lumineux de mistralisme et de latinité. J’ai vu ce travail se développer au jour le jour pendant ces 25 années, où Mme de Flandreysy sacrifiait tous les succès et toutes les joies qu’aurait pu lui donner son charme personnel, sa réelle beauté, son intelligence forte et subtile ; je puis en témoigner, et je suis heureux de le faire. Quelque jour on pourra écrire l’histoire complète de cette fondation précieuse que je me borne ici à l’évoquer à grands traits. Dans les premières années je me rappelle ces réveils au bruit de la scie, qui découpait les blocs de pierre, des marteaux joyeusement maniés, ce rythme de travail allègre, qui dans les matins clairs d’Avignon soulignaient la volonté de restaurer la vieille demeure en son ossature même. Et puis le travail intérieur pour abattre des cloisons artificielles, remettre en leur état primitif les pièces de réception, tout en laissant subsister au second étage les coins intimes, les chambres basses et quasi secrètes. Dans ce cadre enfin aménagé je me rappelle l’arrivée des beaux et chers souvenirs, les meubles de Font Ségugne, la presse de l’imprimerie Seguin où fut composée Mireio, l’harmonium de Stuart Mill ; là haut au grenier, hissée à grand peine, la diligence de Maillance que Mistral prit si souvent, qui emporta son courrier et le lui apporta pendant soixante ans et qui allait périr, quand elle fut achetée et sauvée par Madame de Flandreysy. Je vois les caisses pleines de lettres de Mistral, les manuscrits des Olivades, des Mémoires, ces innombrables photographies des monuments, des statues, des tombeaux, des tableaux, des médaillons, des paysages, qui commentent l’histoire de Provence, celle de Pétrarque et de Dante, les livres nombreux et rares qui s’y rapportent.
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Jeanne de Flandreysy : Femme de lettres, se passionne avec son père, Étienne Mellier, pour l'Histoire et les Arts. Elle racheta en 1918 le Palais du Roure (d’Avignon)à la famille Baroncelli pour y établir un foyer de culture méditerranéenne.
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