Charloun RIEU
1846-1924
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Le plus pittoresque de tous les poètes provençaux que j’ai
connus-et il a souvent en fait tenté les peintres et les sculpteurs
depuis Henry jusqu’à Elisabeth de Groux, a été le chanteur populaire
du Paradou, Charloun Rieu. Avec sa grosse face large mangée
d’une rude barbe, ses beaux yeux naïfs, son front obstinément couvert
d’un feutre bossué, son allure un peu massive et cahotante d’homme
habitué aux terres labourées, il saisissait tout de suite le regard,
mais plus encore, quand il chantait ses chansons inoubliables qu’il
rythmait d’un geste monotone, mais par la même obsédant et prenant.
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Le plus beau moment où je l’ai vu, c’est à l’inauguration
de la statue de Mistral, où il avait
l’air vraiment d’un des pâtres de la Crau venus rendre hommage
au poète qui les avait chantés. Il est mort une nuit d’hiver couché
sur la terre qu’il avait célébrée, en sortant du mas d’Auge où
il avait chanté pour la dernière fois.
Le poète populaire Charloun Rieu : ….,"...c’était
le bonhomme familier, l’enfant du terroir qu’il a si bien chanté,
poussé dans les férigoules sauvages du Paradou. C’était l’homme
demandant au sillon qu’il traçait laborieusement sa subsistance
quotidienne. Cétait enfin le poète dont les seuls éducateurs furent
les alouettes qui suivaient sa charrue, les rossignols qu’il écoutaient,
assis mélancoliquement le soir devant sa porte et les Alpilles
qui se profilaient là bas dans l’azur, vermeilles au matin, violacées
à la brume "
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1919 - Charles RIEU à gauche - Emile RIPERT
à droite
inauguration de la statue de Frédéric
MISTRAL
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Souvenirs des obsèques de Frédéric Mistral :
Ce que furent ces obsèques, d’un mot on peut dire que, si elles ne
furent point nationales, elles furent populaires. A côté des délégations
officielles, des sociétés littéraires et du Félibrige,
il y avait là, des gens du peuple, qui spontanément étaient accourus
de tous les villages, des femmes qui s’agenouillaient au passage du
cercueil, porté à bras par les personnes de Maillane vers ce tombeau,
que le poète, quelques années auparavant, s’était fait aménager sur
le modèle du pavillon des Baux, qui s’appelle le pavillon de la Reine
Jeanne, et sur lequel il avait fait placer, au milieu de la pomme de
pin, qui le couronne au Baux, la Croix, signe de croyance, et sur la
corniche une tête d’Arlésienne et une tête de chien, double symbole
de son amour pour la beauté provençale et pour l’humble animalité domestique.
Mais le geste le plus déchirant qui marquèrent ces journées de deuil,
ce fut sans doute celui du pauvre Charloun Rieu, le populaire
chanteur du Paradou et des Baux, qui, apprenant la mort de Mistral,
partit à pied de son village et, arrivé devant le lit mortuaire, jeta
son bâton et son chapeau sur le sol et se précipité en pleurant sur
le corps du maître bien aimé, le serra dans ses bras d’une étreinte
désespérée qu’on eût du mal à desserrer. C’était avec lui toute la Provence
populaire qui disait son amour au poète qui lui avait rendu sa noblesse
et son âme, en r réhabilitant sa langue, en célébrant ses travaux.

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